Chez les Québécois francophones, Mordecai Richler est davantage connu pour ses déclarations incendiaires que pour ses écrits. Derrière son goût de la provocation, il reste à découvrir l'écrivain brillant.
Sa nomination posthume au titre de Citoyen d'honneur de la Ville de Montréal est l'occasion idéale de se plonger dans son oeuvre.
Né le 27 janvier 1931 rue Saint-Urbain, au cœur du « ghetto » juif de Montréal, Mordecai Richler s'exile en Europe à l'âge de 19 ans.
C'est à Londres qu'il publie son premier roman, The acrobats (1954), puis son œuvre la plus célèbre, L'apprentissage de Duddy Kravitz (1959), dont l'action se déroule à Montréal et dans les Laurentides.
Le personnage principal du roman, Duddy Kravitz, est prêt à toutes les fourberies pour gravir l'échelle sociale. À travers son ascension puis sa chute, Richler peint un portrait satirique de la communauté juive et de la petite bourgeoisie montréalaise.
« À l'étranger de classe moyenne, bien sûr, toutes ces rues pouvaient sembler aussi minables les unes que les autres. À chaque intersection, un restaurant du coin, une épicerie, un marchand de fruits. Des escaliers extérieurs partout. En bois, en métal, des rouillés, des dangereux. La plupart en colimaçon. [...] Mais les garçons, eux, savaient que chaque rue, entre Saint-Dominique et l'avenue du Parc, représentait de subtiles différences dans l'échelle sociale. » — extrait de L'apprentissage de Duddy Kravitz de Mordecai Richler
Un grand écrivain mal-aimé
Sa plume incisive et ses personnages finement observés lui ont valu d'être deux fois lauréat du Prix du gouverneur général. En 2000, un peu moins d'un an avant sa mort, il a été décoré de l'Ordre du Canada.
Toutefois, ses déclarations incendiaires et sa critique de la société québécoise ont contribué à faire de lui un écrivain mal-aimé chez les francophones.
L'auteure québécoise Dominique Fortier déplore que l'on retienne surtout ses déclarations fracassantes. Elle a pu s'intéresser à une facette moins connue de l'écrivain, moins polémique et plus touchante, lorsqu'elle a sélectionné (avec Nadine Bismuth) puis traduit 15 de ses courts essais dans Un certain sens du ridicule (Boréal, 2007).
Si on lui demande pourquoi faut-il lire Mordecai Richler, elle répond sans hésiter : « Parce que c'est bon. » Pas parce que c'est « représentatif » ou « important », mais parce que c'est « de la bonne littérature. »
« Richler avait une voix et un regard uniques. C'est avant tout un grand écrivain qui raconte de bonnes histoires. » — Dominique Fortier
Un regard unique sur Montréal
Quand on pose la question à Linda Leith, qui a signé chez Leméac un essai intitulé Écrire au temps du nationalisme, celle-ci répond que la lecture de Mordecai Richler est particulièrement intéressante pour des Québécois et des Montréalais, car Richler offre un point de vue unique sur la métropole et les communautés qui la composent.
Elle cite Richler lui-même, qui s'était donné pour mission pour bien rendre la ville et l'époque :
« That was my time and my place. I have set myself to get it right. » — Mordecai Richler
Ce en quoi il a excellé, selon elle.
Dans nos archives :
Portrait de Mordecai Richler
Entre traduction et trahison
Plusieurs des titres de Mordecai Richler sont difficiles à trouver en français. Ou carrément mal traduits, selon Dominique Fortier, à tel point qu'ils sont, dit-elle, « pratiquement illisibles pour un public québécois. »
Pour illustrer son propos, l'auteure et traductrice emprunte l'image d'un ami traducteur : lire une mauvaise traduction c'est comme regarder quelque chose à travers une vitre sale.
Dans ce contexte, elle salue l'initiative des Éditions du Boréal de retraduire et de republier certains de ses romans.
La maison d'édition a annoncé par voie de communiqué en janvier qu'elle avait acquis les droits en langue française de cinq romans de Richler, notamment L'apprentissage de Duddy Kravitz.
Par où commencer? Six suggestions de livres signés Mordecai Richler
Dominique Fortier recommande :- Solomon Gursky (Boréal, traduction de Lori Saint-Martin et Paul Gagné) : considéré comme le chef-d'oeuvre de Richler. À paraître le 24 mars 2015.
- Le monde de Barney (Albin Michel, traduction de Bernard Cohen) : la confession impudique d'un vieil iconoclaste juif.
- Un certain sens du ridicule (Boréal, traduction de Dominique Fortier) : un recueil de 15 essais, dont plusieurs portent, de façon directe ou indirecte, sur le métier et la vie de l'écrivain.
Linda Leith recommande :
- Mon père, ce héros (Le cercle du livre de France, traduction de Jean Simard) : le parcours initiatique d'un jeune idéaliste montréalais en quête d'identité. Une oeuvre qui dépasse, selon certains critiques, L'apprentissage de Duddy Kravitz.
- L'apprentissage de Duddy Kravitz (Boréal, à paraître, dans une nouvelle traduction de Lori Saint-Martin et Paul Gagné) : l'ascension puis la chute de Duddy Kravitz, qui perd son âme et l'amour dans sa quête de succès.
- Le cavalier de Saint-Urbain (Buchet-Chastel, traduction de Martine Wiznitzer) : la crise existentielle d'un réalisateur de films canadien vivant à Londres accusé d'agression sexuelle.