Il n'y pas si longtemps, la riche scène de percussion cubaine était essentiellement un club dominé par la gent masculine. La cause? Les attitudes machistes et une tradition religieuse tenace.
Les femmes étaient considérées comme trop faibles pour les exigences physiques pour jouer de la batterie et de la percussion.
On croyait aussi qu'elles étaient inaptes à jouer d'un instrument qui servait à communiquer avec dieu. Elles ont donc été bannies des salles de répétition et il leur était interdit de jouer sur les tambours Bata de l'ensemble folklorique national. Si des professeurs de musique enseignaient à des femmes, cela pouvait leur coûter une place dans des tournées ou des prestations majeures.
Cette situation a changé quand les femmes ont commencé à occuper des rôles plus importants dans la politique, dans le domaine scolaire et d'autres secteurs de la société cubaine.
Aujourd'hui, selon des musicologues, Cuba vit un boom de percussionnistes féminines. La génération qui a commencé à jouer dans les années 90 s'implante, et elle inspire les jeunes talents.
Selon les croyances afro-cubaines, le tambour Bata, qui est à tête double, est sacré. Il permet la connexion avec les esprits Santeria. Selon la tradition, ce tambour doit être fabriqué avec des peaux de bouc.
Les joueurs doivent se soumettre à un long rituel de consécration. Et par-dessus tout, seuls les hommes peuvent jouer du Bata sacré.
« Je me suis lancé dans l'inconnu », a raconté Eva Despaigne, 60 ans, directrice d'Obini Bata, le premier orchestre de percussions Bata féminin. Elle était déterminée à se battre contre les conventions.
En tant que danseuse folklorique afro-cubaine, elle voulait utiliser les percussions pour amener son art à un niveau supérieur.
(Source : YouTube/comunaCuba)
« En jouant le tambour Bata, je pouvais élargir mon développement artistique et obtenir une plus grande expressivité. » — Eva Despaigne
Patiemment, l'artiste a persuadé les musiciens de Bata que son désir de jouer n'était pas religieux, mais artistique. Peu à peu, elle a réussi à les convaincre.
Après la rupture de l'Ensemble folklorique national en 1994, l'orchestre Obini Bata d'Eva Despaigne est resté pendant des années en marge du milieu musical cubain. Avec le temps cependant, plus de musiciennes ont commencé à jouer sur le tambour en forme de sablier. Elles sont aussi devenues percussionnistes pour des ensembles jazz et de musique de big band.
« À partir des années 90 jusqu'à aujourd'hui, les filles ont commencé à étudier davantage la percussion. Le nombre de diplômées est grand », a affirmé Mercedes Lay, une percussionniste et musicologue à l'emploi du Centre de recherche sur la musique cubaine.
Lors d'un récent spectacle à La Havane, les six musiciennes d'Obini Bata ont donné une prestation enlevante avec leurs rythmes contagieux et leurs foulards et vêtements colorés. Ce spectacle qui a eu lieu lors du festival musical Cubadisco soulignait l'acceptation d'Obini Bata au sein de la scène musicale cubaine.
Malgré cela, les percussionnistes féminines sont encore bannies par les prêtres afro-cubains traditionnels.
Mais l'acceptation de plus en plus de femmes batteuses est manifeste : elles jouent dans des groupes rock et de rumba, en tant qu'enseignantes et dans des groupes en tournées à l'extérieur du pays.
Parmi les musiciennes acclamées, soulignons la percussionniste de jazz Yissy Garcia, la batteuse de rock and roll Naile Sosa qui a collaboré avec la vedette cubaine David Blanco, et Yaimi Karell, du groupe afro-pop Sintesis.
(Source : YouTube/Yissy Garcia)
Afin de briser cette barrière machiste, il fallait surmonter la perception que les femmes étaient physiquement incapables de jouer des percussions.
« Ce n'est qu'une question de technique et d'aptitude, pas une question de force et de vitesse », a souligné Raul Fernandez, un chercheur en musiques cubaines à l'Université de Californie Irvine.