Cinéma - «Ennemi»: le film qui a changé la vie de Denis Villeneuve

Written By Unknown on Selasa, 11 Maret 2014 | 16.05

Tanya Lapointe a rencontré Denis Villeneuve

Après Polytechnique, Incendies et Prisoners, le réalisateur Denis Villeneuve propose Ennemi. Le film a remporté 5 statuettes dimanche à Toronto au gala des prix Écrans canadiens.  Des prix pour la réalisation, l'actrice de soutien, la direction photo, le montage et la musique.

Le réalisateur québécois s'est confié à la journaliste Tanya Lapointe.

TL: Ennemi est un film canadien qui met en vedette Jake Gyllenhaal, Sarah Gadon, Mélanie Laurent et Isabella Rossellini. Il a été tourné avant Prisoners et donne dans un tout autre genre.

DV: Ce qui me rassure, c'est que les critiques pour le moment sont favorables, mais c'est un film qui est relativement vulnérable. Si les gens veulent le voir, honnêtement, ils ont intérêt à y aller dans les premiers week-ends. (NDLR : Parce qu'il ne restera pas longtemps à l'affiche, selon lui).

Ce n'est pas un film qui propose une histoire traditionnelle. C'est un film qui propose une énigme. C'est un film qui veut s'amuser avec les gens. Il est peut-être un peu plus exigeant mais c'est excitant pour moi. Je ne sais toutefois pas si ça va plaire à un grand public.

TL: Est-ce que le livre de José Saramago était construit de la même façon que votre adaptation au cinéma? À la manière d'une énigme?

DV: C'est ce qui m'a attiré dans le livre. Il propose une énigme. C'est aussi un casse-tête. Le livre nous égare, nous étonne et crée des moments de vertige parce qu'il ouvre des portes sur des zones inconnues. J'avais adoré le livre et j'avais été excité en le lisant. C'est pour ça que j'ai eu envie de le porter à l'écran.

Saramago est un intellectuel qui a une vision très précise du monde.  Et ça a été long avant de saisir en images la force de son texte. Maintenant, ce n'est pas une adaptation fidèle, c'est plutôt inspiré du livre.

TL: Jake Gyllenhaal incarne deux personnages dans le film : un homme et son sosie ou plutôt un homme et son subconscient. Vous avez décrit le processus de création avec cet acteur comme un laboratoire.

DV: Le processus de fabrication du film a été plus expérimental que jamais. Parce qu'il y avait peu de lieux de tournage et peu de comédiens, je pouvais passer beaucoup de temps à travailler la direction d'acteurs, particulièrement avec Jake. On a beaucoup improvisé et pris pas mal de risques.

Je pense qu'il a plongé dans Ennemi parce qu'il y avait cette volonté de sortir des sentiers battus. C'était vraiment un laboratoire.

TL: Vous avez pris quelles sortes de risques?

DV: Celui d'avoir l'air fou (rires), de se tromper, de faire des erreurs. Commettre des erreurs et s'enfoncer dans ces erreurs a permis ensuite d'en ressortir plus tard avec quelque chose d'original, de frais et de poétique. On n'aurait pas atteint ça si on ne s'était pas frottés à ces erreurs-là.

TL: Pourquoi avoir choisi ces actrices?

DV: Sarah Gadon s'est imposée radicalement. C'est une jeune actrice canadienne-anglaise qui a une carrière impressionnante devant elle, selon moi. Elle a vraiment une profondeur, une intelligence et une justesse de jeu. C'est une excellente comédienne.

Comme c'était une coproduction, il fallait travailler avec une Européenne et Jake voulait travailler avec Mélanie Laurent. Moi aussi, c'est une actrice que je respecte. Et je dirais que le film a été construit en s'inspirant des acteurs.

TL: Et Isabella Rossellini?

DV: Ça c'est un cadeau. C'était mon premier choix pour jouer le rôle de la mère de Jake Gyllenhaal et elle a accepté. C'était jouissif pour le clin d'oeil à Lynch, avec sa grâce et son côté maternel et italien qui prend toute la place.

TL: Ennemi serait-il votre film le plus personnel?

DV: Oui, je me sens plus vulnérable en le présentant parce que c'est un film qui traite de mes limites ou des limites que je considère voir chez les autres aussi. Comment on est incapable de se départir de certaines névroses, de certaines ombres. Comment on a de la difficulté à se les arracher du coeur. J'ai peur de refaire les mêmes erreurs. Comme nous faisons tous les mêmes erreurs. Comme les sociétés refont les mêmes erreurs dans l'histoire.

La répétition, c'est l'enfer pour moi. Je me demande: « Comment se sortir de ces cycles-là? ».

TL: Et le public va se reconnaître dans ce déchirement-là?

DV: Le film est construit comme un thriller et c'est excitant. Mais c'est un film déroutant. Il n'offre pas les clés. Il faut creuser et réfléchir un peu pour le comprendre. Quelqu'un qui voit ce film-là et qui se dit : « Je pense que je n'ai rien compris », et bien je pense qu'il est normal! (rires)

Un de mes films préférés, c'est 2001, l'Odyssée de l'espace. J'adore le revoir à travers mon parcours pour y découvrir de nouvelles choses à chaque fois. Je trouve ça riche et je trouve ça beau. L'objectif est d'essayer de créer des images où il n'y a plus de mots pour les décrire.

TL: Est-ce que l'expérience d'Ennemi aura un impact sur la suite des choses?

DV: C'est une expérience qui a changé ma vie comme cinéaste. C'est-à-dire que ça m'a permis de me libérer de certaines angoisses, de découvrir de nouvelles manières de travailler et de me rapprocher de l'univers du comédien. Ça m'a permis de faire Prisoners après, et de ne plus avoir les mêmes angoisses qu'avant.

J'aime de plus en plus les comédiens, je me sens de plus en plus confortable avec eux et Ennemi est un des facteurs qui fait en sorte que je suis plus à l'aise.


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